La réalité et la faisabilité du projet justifiant la décision de préemption doivent être établies au jour de de la préemption.
Conseil d’État, 1ère et 4ème chambres réunies, 15 juillet 2020 N°432325
Dans une décision du 15 juillet 2020, le Conseil d’Etat est venu rappeler l’encadrement du droit de préemption des immeubles par les collectivités titulaires dudit droit.
Ainsi, au terme de l’article L210‑1 du Code de l’urbanisme alors en vigueur, pour exercer légalement le droit de préemption, la collectivité devait :
- D’une part, justifier de la réalité d’un projet d’actions ou d’opérations d’aménagement répondant aux objets de l’article L310‑1 du Code de l’urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n’auraient pas à être définies à cette date;
- D’autre part, faire apparaître la nature de ce projet lors de la décision de préemption.
Plus précisément, le Juge administratif contrôle dans un premier temps que l’opération d’aménagement programmé par la collectivité revêt bien un caractère global au sens de l’article L300‑1 du Code de l’urbanisme.
Dans un second temps, le Juge analyse la précision de l’opération d’aménagement.
Il a ainsi été censuré des décisions de préemption qui se bornent à invoquer : la réalisation d’équipements publics, autre précision, ou la relance de l’activité économique.
Outre la précision du projet, le Juge contrôle également sa faisabilité.
C’est ce qui ressort expressément de la décision commentée où le Juge contrôle à la fois la précision de l’établissement du projet d’aménagement dans les documents programmatiques :
« En vue de répondre à l’objectif du programme local de l’habitat de proposer une offre de logement suffisante et aux objectifs de livraison de logements fixés par ce programme pour la période allant de 2010 à 2015. Si elle fait ainsi apparaître la nature du projet d’action ou d’opération d’aménagement poursuivi, il ne ressort pas du programme local de l’habitat pour la période considérée qu’il envisagerait, dans le secteur de la parcelle préemptée, la construction de logements pour en accroître l’offre dans l’agglomération. »
Mais également sa faisabilité :
« Il ressort en outre des pièces du dossier que le ” schéma de faisabilité ” établi en août 2011 en vue de la construction de deux lots de logements sur la parcelle et sur la parcelle voisine appartenant toujours à Electricité de France était particulièrement succinct et que de fortes contraintes s’opposent à la réalisation d’un tel projet sur cette parcelle, qui est enclavée sur trois côtés, située dans la zone de dangers d’une centrale hydroélectrique et à proximité d’une plateforme chimique et classée par le plan local d’urbanisme en zone UA indice “ru” ne permettant la construction d’habitations que sous réserve de mesures de confinement vis-à-vis de ces aléas technologiques. Dans ces conditions, la réalité, à la date de la décision de préemption, du projet d’action ou d’opération d’aménagement l’ayant justifiée ne peut être regardée comme établie »
Il est enfin également notable de constater que le Juge prend en considération le devenir de l’immeuble préempté par la collectivité et notamment s’il est conforme à l’objet de la décision de préemption :
« au surplus, a été revendue par la commune à l’établissement public foncier local de la région grenobloise dans un but de réserve foncière en vertu d’un acte authentique du 20 janvier 2012 pris, après une délibération en ce sens du conseil municipal intervenue dès le 25 octobre 2011 »
En l’espèce, le Conseil d’Etat a constaté que l’administration avait immédiatement revendu le bien pour constituer une réserve foncière.
Si une telle prise en compte est parfaitement légitime afin de sanctionner les collectivités qui spéculent sur les biens préemptés, on peut toutefois s’interroger sur la légalité d’une telle appréciation.
En effet, dans le contentieux de l’excès de pouvoir, la décision s’apprécie au jour de son édiction.
Or, en prenant en compte de telles considérations, le Juge se place nécessairement postérieurement à l’édiction de la décision.
Maître Jérôme OLIVIER
Avocat au Barreau d’ANNECY
EXTRAITS :
« 4. Aux termes de l’article L. 210–1 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : ” Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l’intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l’article L. 300–1, à l’exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d’aménagement. / (…) / Toute décision de préemption doit mentionner l’objet pour lequel ce droit est exercé. (…) “. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 300–1 du même code, dans sa rédaction applicable à la même date : ” Les actions ou opérations d’aménagement ont pour objets de mettre en oeuvre un projet urbain, une politique locale de l’habitat, d’organiser le maintien, l’extension ou l’accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d’enseignement supérieur, de lutter contre l’insalubrité, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels “. Il résulte de ces dispositions que, pour exercer légalement ce droit, les collectivités titulaires du droit de préemption urbain doivent, d’une part, justifier, à la date à laquelle elles l’exercent, de la réalité d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300–1 du code de l’urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n’auraient pas été définies à cette date, et, d’autre part, faire apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption.
5. Il ressort des pièces du dossier que la décision litigieuse est motivée par la volonté de la commune de construire des logements sur la parcelle préemptée, en vue de répondre à l’objectif du programme local de l’habitat de proposer une offre de logement suffisante et aux objectifs de livraison de logements fixés par ce programme pour la période allant de 2010 à 2015. Si elle fait ainsi apparaître la nature du projet d’action ou d’opération d’aménagement poursuivi, il ne ressort pas du programme local de l’habitat pour la période considérée qu’il envisagerait, dans le secteur de la parcelle préemptée, la construction de logements pour en accroître l’offre dans l’agglomération. Il ressort en outre des pièces du dossier que le ” schéma de faisabilité ” établi en août 2011 en vue de la construction de deux lots de logements sur la parcelle et sur la parcelle voisine appartenant toujours à Electricité de France était particulièrement succinct et que de fortes contraintes s’opposent à la réalisation d’un tel projet sur cette parcelle, qui est enclavée sur trois côtés, située dans la zone de dangers d’une centrale hydroélectrique et à proximité d’une plateforme chimique et classée par le plan local d’urbanisme en zone UA indice “ru” ne permettant la construction d’habitations que sous réserve de mesures de confinement vis-à-vis de ces aléas technologiques. Dans ces conditions, la réalité, à la date de la décision de préemption, du projet d’action ou d’opération d’aménagement l’ayant justifiée ne peut être regardée comme établie pour cette parcelle qui, au surplus, a été revendue par la commune à l’établissement public foncier local de la région grenobloise dans un but de réserve foncière en vertu d’un acte authentique du 20 janvier 2012 pris, après une délibération en ce sens du conseil municipal intervenue dès le 25 octobre 2011. »
Pour consulter l’intégralité de la décision sur le site LEGIFRANCE :