Annulation de l’arrêté portant déclaration d’Utilité Publique du projet de réouverture de la ligne ferroviaire BESANCON-DELLE et mise en compatibilité des documents d’urbanisme ainsi que de l’arrêté de cessibilité relatifs aux parcelles nécessaires à la réalisation du projet.
Tribunal Administratif de BESANÇON du 2 juillet 2019 n°1501489, 1502080,1600008 et 1700775
Le Tribunal Administratif de BESANÇON a annulé, par jugement du 2 juillet 2019, l’arrêté portant déclaration d’Utilité Publique du projet de réouverture de la ligne ferroviaire BESANCON-DELLE et mise en compatibilité des documents d’urbanisme ainsi que de l’arrêté de cessibilité relatifs aux parcelles nécessaires à la réalisation du projet.
Faisant application des principes issus de la jurisprudence d’assemblée du Conseil d’Etat « Ville Nouvelle-Est » (CE Contentieux, 28 mai 1971, n° 78825), le Tribunal Administratif a procédé au bilan du coût et des avantages de ce projet.
Il a notamment analysé si l’utilité publique pouvait être arrêtée au regard des « atteintes à la propriété, au coût financier et aux inconvénients d’ordre social » (le Tribunal ne mentionne pas les inconvénients d’ordre environnemental).
Dans un premier temps, les Juges du Tribunal Administratif de BESANÇON ont estimé que le projet présentait effectivement un intérêt public au regard des objectifs d’aménagement du territoire et notamment celui de l’interconnexion entre la Suisse et la France, du développement du réseau de transport pour le territoire, de la préservation du transport du fret et de la réduction des gaz à effet de serre.
Cependant, les magistrats administratifs bisontins ont considéré que les hypothèses de fréquentation de la future ligne et sa rentabilité étaient surévaluées et qu’un déficit structurel était à prévoir.
De plus, l’offre de transport par bus actuelle était suffisante.
Aussi, le Tribunal conclut à l’absence d’Utilité Public du Projet et annule l’arrêté portant déclaration d’Utilité Publique du projet de réouverture de la ligne ferroviaire BESANCON-DELLE et mise en compatibilité des documents d’urbanisme ainsi que de l’arrêté de cessibilité relatifs aux parcelles nécessaires à la réalisation du projet.
Si la décision du Tribunal peut, paraître critiquable notamment en ce que l’intérêt environnemental, s’il est évoqué, n’est finalement pas pris en compte au détriment de la rentabilité du projet.
Elle est aussi surprenante au regard des décisions relatives aux lignes TGV BORDEAUX TOULOUSE ou POITIER LIMOGES dans lesquelles le Conseil D’Etat avait reconnu l’utilité Publique des Projets en tenant compte des bénéfices pour l’aménagement du territoire (Conseil d’Etat 11 avril 2018 n° n° 401753).
Elle s’explique toutefois par le fait que la ligne est actuellement en service et présente une rentabilité très en deçà des prévisions.
Maître Jérôme OLIVIER
Avocat au Barreau d’ANNECY
Extraits :
- Tribunal Administratif de BESANÇON du 2 juillet 2019 n°1501489, 1502080,1600008 et 1700775 :
«3. Le projet de réouverture de la ligne Belfort-Delle consiste en la création d’une infrastructure ferrée de près de 22 kilomètres visant à réactiver la liaison transfrontalière Belfort — Delle — Délemont — Bienne et relier ainsi, sans rupture de charge, l’aire urbaine de Belfort-Montbéliard, et en particulier la ligne à grande vitesse (LGV) Rhin-Rhône, en gare de Meroux, au réseau ferroviaire suisse.
- La plus grande partie du projet doit être réalisée sur les emprises de l’ancienne ligne, fermée au trafic de voyageurs en 1992, lesquelles appartiennent déjà à SNCF Réseau. Ainsi, sur les 47,45 hectares de l’emprise totale du projet, 44 hectares appartiennent à SNCF Réseau et 3,45 hectares doivent résulter d’acquisitions foncières, dont 2,89 hectares concernent des propriétés appartenant à des personnes privées.
- Le projet consiste en la remise en état de la plateforme ferroviaire et des ouvrages et constituants de la voie, en l’électrification de la ligne entre Danjoutin et Delle, en la création de deux points de croisement des trains à Meroux et Grandvillars, ainsi que dans le rétablissement de l’accès ferroviaire fret à la zone industrielle de Bourogne, la suppression ou l’amélioration de la sécurité des passages à niveau et la mise en place d’une nouvelle signalisation. Six haltes seront en outre créées à Danjoutin, Sévenans, Meroux, Morvillars, Grandvillars, Joncherey et les quais de la gare de Delle seront remis en état.
- L’essentiel des acquisitions de parcelles appartenant à des personnes privées doit avoir lieu à Danjoutin. Il est en effet prévu de créer, dans cette commune limitrophe de Belfort, une halte pour les voyageurs agrémentée d’un quai, d’un parking ainsi que de divers équipements de voirie et d’une rampe d’accès aux quais. La halte et les équipements annexes seront créés à l’extrémité Est de la commune, laquelle est déjà coupée, en son milieu, par l’autoroute A 36. Elle sera distante de seulement 2,6 kilomètres de la gare de Belfort.
En ce qui concerne l’arrêté du 22 juillet 2015 portant déclaration d’utilité publique du projet de réouverture de la ligne Belfort-Delle :
- Une opération ne peut être légalement déclarée d’utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, éventuellement, les inconvénients d’ordre social qu’elle comporte ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt qu’elle présente.
- Le projet litigieux, qui fait suite à une convention conclue, le 11 août 2014, par le gouvernement français et le conseil fédéral Suisse, est justifié par des objectifs d’aménagement du territoire et de développement économique. Il a vocation à permettre l’interconnexion de la Suisse à la ligne LGV Rhin-Rhône en gare de Belfort-Montbéliard TGV (Meroux), à favoriser le développement du réseau de transport de l’agglomération de Belfort au profit de tous les usagers par une desserte ferroviaire du corridor sud-est de l’aire urbaine et à créer une nouvelle accessibilité aux secteurs d’habitations de sud-est du département, aux zones d’emplois de Belfort, de la gare de TGV à Meroux, de la zone industrielle de Bourogne, à Grandvillars, de Delle et de la Suisse. Il a par ailleurs vocation à préserver la reprise des circulations de trains de fret en provenance de Belfort. Enfin, la solution ferroviaire est censée offrir une capacité de transport supérieure au mode routier et réduire de façon importante les émissions de gaz à effet de serre. Il présente, par suite, un intérêt public.
- Le coût total du projet, dont le financement est prévu par une convention conclue le 1er août 2014 par la République française, la Confédération suisse, le canton du Jura, la région Franche-Comté, le département du Territoire de Belfort, la communauté d’agglomération belfortaine, la communauté de communes du Sud Territoire et SNCF Réseau, s’élève à 110,5 millions d’euros. La rentabilité socio-économique de cet investissement est intimement liée aux perspectives de fréquentation de la ligne. Celles-ci dépendent du nombre de voyageurs potentiels, présents et à venir, dans l’aire géographique concernée et de la capacité de la nouvelle offre ferroviaire à capter ces voyageurs, c’est-à-dire de son avantage compétitif par rapport aux modes de transport existants et effectivement utilisés.
- Selon la notice explicative du projet, celui-ci est fondé sur une fréquentation totale estimée d’environ 3 700 voyageurs par jour, dont 731 pour les reports des bus, 196 pour l’accès au TGV, 2 513 pour les reports de la route et 292 induits. Cette estimation repose sur un scénario de trafic avec un cadencement à la demi-heure en heures de pointe et à l’heure en heures creuses, dans chaque sens de circulation, pour le trafic de voyageurs, et 5 trains par jour pour le trafic de fret.
- Il ressort toutefois des pièces du dossier, d’une part, que la faisabilité d’un cadencement à la demi-heure en heures de pointe est très faible compte tenu du déficit d’exploitation particulièrement élevé qu’il impliquerait, d’autre part que les études de fréquentation présentées, au cours de l’année 2014, par la SNCF et les Chemins de fer fédéraux suisses au « Groupe de travail exploitation Belfort-Delle », qui réunit l’ensemble des parties intéressées, ont toujours retenu des hypothèses de fréquentation sensiblement inférieures à celles présentées dans la notice explicative du projet. La plus optimiste d’entre elles prévoyait en effet une fréquentation d’un peu plus de 2 000 voyageurs par jour en « année 3 », quand la plus pessimiste prévoyait, pour cette même « année 3 », une fréquentation ne dépassant pas 1 400 voyageurs. Ces discordances substantielles résultent, en premier lieu, des contraintes horaires liées à la rigidité du cadencement suisse, lesquelles rendent particulièrement hasardeuses les hypothèses de report des scolaires dès lors que, sauf à mettre effectivement en place un cadencement à la demi-heure coûteux, les horaires des trains seront pour eux peu attractifs et qu’un réseau efficace de transport par bus spéciaux reliant Belfort au Sud Territoire existe déjà. Elles sont la conséquence, en deuxième lieu, de ce que l’attractivité de la correspondance à la desserte ferroviaire de Belfort-Montbéliard TGV apparaît limitée en raison de l’impossibilité d’accorder les contraintes horaires du cadencement suisse et ceux du TGV, qui varient annuellement en fonction du marché. A cet égard, la souplesse des horaires du service de bus et son coût nettement inférieur au train fragilisent fortement les prévisions de reports de voyageurs sur lesquelles repose le projet. En troisième lieu, compte tenu de l’étroitesse de l’aire géographique concernée par la ligne et des flux de travailleurs qu’elle intéresse potentiellement, tant l’estimation haute de 500 voyageurs « travail » par jour que celle, basse, de 200 voyageurs par jour apparaissent largement surévaluées. En dernier lieu, dès lors que l’essentiel des quelques 2 000 travailleurs frontaliers français résident dans le sud de l’agglomération belfortaine, c’est-à-dire au maximum à vingt kilomètres de Delle, que le point d’entrée sur le réseau ferroviaire suisse se fait naturellement en gare de Delle et que cette gare est reliée à la très grande majorité des communes du Sud Territoire par le réseau de bus Optymo, les reports de frontaliers sur la ligne ferroviaire Belfort-Delle ne pourront être, en l’état du projet, que très résiduels.
- Il résulte de ce qui précède que les hypothèses de fréquentation sur lesquelles repose le projet, pourtant déterminantes pour son utilité et sa rentabilité, apparaissent largement surévaluées et, à tout le moins, entachées de très grande incertitudes. En défense, le préfet du Territoire de Belfort se borne en substance à rappeler les éléments présentés par SNCF Réseau dans le dossier d’enquête publique, ne produit aucun élément de nature à établir la solidité des paramètres essentiels fondant la rentabilité socio-économique du projet et ne conteste pas sérieusement les allégations des requérants. Dans ces conditions, et quand bien même le mode de transport ferroviaire recèle un potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre et s’inscrit dans les orientations générales des politiques publiques en matière de transport, ainsi qu’a pu le relever la commission d’enquête publique, les inconvénients du projet litigieux l’emportent, dans les circonstances de l’espèce, sur ses avantages dans des conditions de nature à lui faire perdre son caractère d’utilité publique.
- Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens des requêtes, que les requérants sont fondés à demander l’annulation de l’arrêté du 22 juillet 2015 portant déclaration d’utilité publique du projet de réouverture de la ligne Belfort — Delle..»
A consulter en intégralité sur le site du Tribunal Administratif de BESANCON : http://besancon.tribunal-administratif.fr/content/download/163918/1656159/version/1/file/1501489%2C%201502080%2C%201600008%2C%201700775.pdf