Précisions sur les conditions d’indemnisation du préjudice du lotisseur résultant de la faute de l’administration constituée par un refus illégal d’une autorisation de lotir.
Conseil d’Etat., 12 juillet 2017, n° 394941
Dans cette décision, la Haute Juridiction rappelle classiquement les conditions de mise en œuvre de la responsabilité de l’administration à savoir : une faute, un préjudice présentant un caractère certain et direct et un lien de causalité.
Pour l’hypothèse d’un refus d’une autorisation d’urbanisme, la difficulté de la mise en jeu de la responsabilité de l’administration réside dans l’établissement de la preuve du préjudice.
En effet, il est classiquement jugé que la simple impossibilité de réaliser une opération immobilière présente un caractère trop éventuel et ne pouvait justifier une indemnisation.
Le Conseil d’Etat vient préciser ici que, si le lotisseur peut établir des circonstances particulières telles que des engagements souscrits par de futurs acquéreurs des lots ou l’état avancé des négociations commerciales avec ces derniers, le préjudice pourra être considéré comme direct et certain et ainsi faire l’objet d’une indemnisation par le juge administratif.
Cependant, dans un second temps, le Conseil d’Etat énonce qu’aucune incertitude ne doit peser autant sur la faisabilité de l’opération que sur sa rentabilité.
En l’espèce, quand bien même des promesses de vente avaient été conclues, ces dernières étaient assorties de conditions suspensives tenant à l’obtention d’un permis de construire.
De plus, il n’était pas du tout assuré que ces autorisations soient délivrées, car elles étaient liées à des spécifications particulières en matière d’assainissement, de protection contre les risques d’incendie et d’implantation des bâtiments par rapport à un espace boisé classé.
L’instruction des demandes de permis de construction avait donc une issue qui n’était pas suffisamment certaine pour conférer à la privation de bénéfices résultant de l’opposition illégale à la division du terrain un caractère certain.
On constate donc que si le Conseil d’Etat paraît ouvrir la porte à une indemnisation des lotisseurs du fait du refus illégal de leur autorisation de lotir, les chances d’obtenir une indemnisation apparaissent extrêmement faibles en pratique, car le caractère certain d’une opération de lotissement sera extrêmement difficile à démontrer.
Jérôme OLIVIER
Avocat
- Extraits :
« 2. Considérant que la décision par laquelle l’autorité administrative s’oppose illégalement à une opération de lotissement constitue une faute de nature à engager sa responsabilité ; que, dans le cas où l’autorité administrative pouvait, sans méconnaître l’autorité absolue de la chose jugée s’attachant au jugement d’annulation de cette décision, légalement rejeter la demande d’autorisation, au motif notamment que le lotissement projeté était situé dans un secteur inconstructible en vertu des règles d’urbanisme applicables, l’illégalité commise ne présente pas de lien de causalité direct avec les préjudices résultant de l’impossibilité de mettre en œuvre le projet immobilier projeté ; que, dans les autres cas, la perte de bénéfices ou le manque à gagner découlant de l’impossibilité de réaliser une opération immobilière en raison du refus illégal opposé à la demande de lotissement revêt un caractère éventuel et ne peut, dès lors, en principe, ouvrir droit à réparation ; qu’il en va, toutefois, autrement si le requérant justifie de circonstances particulières, telles que des engagements souscrits par de futurs acquéreurs des lots ou l’état avancé des négociations commerciales avec ces derniers, permettant de faire regarder ce préjudice comme présentant, en l’espèce, un caractère direct et certain ; que ce dernier est alors fondé, si tel est le cas, à obtenir réparation au titre du bénéfice qu’il pouvait raisonnablement attendre de cette opération ;
3. Considérant qu’il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que la société a demandé à être indemnisée de la perte de bénéfices résultant de l’illégalité de la décision d’opposition à déclaration préalable, qui aurait selon elle fait obstacle à la commercialisation projetée des lots ; que, pour juger que le caractère direct et certain de ce préjudice n’était pas établi, en dépit des négociations engagées avec des acquéreurs potentiels, la cour a relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que des promesses d’achat n’avaient été conclues que pour deux des quatre lots concernés, que ces promesses étaient assorties de conditions suspensives concernant notamment l’obtention d’un permis de construire et que cette obtention ne pouvait être regardée comme assurée eu égard au respect des exigences tenant notamment aux caractéristiques de l’assainissement, des besoins de protection au regard des risques d’incendie, et de l’implantation des bâtiments sur certains lots par rapport à l’espace boisé classé devant être examinés non à l’occasion de la déclaration préalable de division mais de l’instruction des demandes de permis de construire ;
4. Considérant que la cour a à bon droit examiné, conformément aux principes rappelés au point 2, si le préjudice relatif à la privation de bénéfices présentait, en l’espèce, compte tenu des engagements souscrits par les acheteurs pour chacun des lots concernés et de leur teneur ainsi que des incertitudes pesant au stade de la déclaration préalable sur leur constructibilité effective, un caractère direct et certain ; qu’il en résulte que les moyens tirés de ce qu’en s’abstenant de rechercher si la vente des lots et l’obtention des permis de construire étaient probables, compte tenu des règles d’urbanisme en vigueur, et si la société avait, en conséquence, été privée de l’obtention des bénéfices attendus, aurait commis des erreurs de droit et insuffisamment motivé son arrêt doivent être écartés ; »