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L’utilisation d’un critère géogra-phique dans la procédure d’établissement de l’offre publique est légale si elle n’a pas d’effet discriminatoire pour les candidats et qu’elle est objectivement justifiée par l’objet du marché public.

Conseil d’État, Ordonnance du 27 avril 2018, n°1801816 – DÉPARTEMENT DE LA HAUTE-GARONNE

 

Le Départe­ment de la Haute-Garonne avait lancé une con­sul­ta­tion en vue de la pas­sa­tion d’un accord-cadre de 18 lots por­tant sur l’ac­qui­si­tion de doc­u­ments sur tous sup­ports et presta­tions de ser­vices asso­ciées, au béné­fice de la médiathèque départe­men­tale.

Dans cette con­sul­ta­tion, le Départe­ment avait arrêté trois critères d’at­tri­bu­tion du marché pub­lic, dont celui litigieux, le critère géo­graphique.

Pour appli­quer ce critère, l’administration mul­ti­pli­ait le nom­bre de kilo­mètres séparant la médiathèque du can­di­dat par une base numérique spécu­la­tive de 0,50.

Le départe­ment con­sid­érait que chaque km d’éloigne­ment entre la médiathèque et le can­di­dat coû­tait 50 cen­times de coût de trans­port.

C’est dans ce cadre qu’un con­cur­rent évincé au marché a con­testé la légal­ité dudit critère devant le juge des référés pré­con­tractuels.

Ce dernier reje­ta ses deman­des.

L’entreprise s’est alors pourvue en cas­sa­tion espérant l’application d’une jurispru­dence qu’elle pen­sait établie tant devant les juri­dic­tions européennes que celles nationales et qui con­sid­érait que l’implantation locale ne pou­vait être un critère de sélec­tion en ce qu’il était dis­crim­i­nant pour les autres entre­pris­es (Arrêt Cour de Jus­tice des Com­mu­nautés Européennes, Com­mis­sion c/ Espagne, 27 octo­bre 2015, C‑158/03 et déci­sion du Con­seil d’État, Société Mar­quin-Fourquin, 14 jan­vi­er 1998, n°168688).

Le juge des référés du Con­seil d’État s’est écarté de cette solu­tion.

Il a tout d’abord con­sid­éré que si un critère d’at­tri­bu­tion d’un marché pub­lic ne doit pas être dis­crim­i­na­toire, il recon­naît que le critère de prox­im­ité géo­graphique peut être un critère de sélec­tion des can­di­dats.

Cepen­dant, au cas d’espèce, le critère de prox­im­ité géo­graphique mis en place par le Départe­ment est bien con­sid­éré par le Con­seil d’État comme illé­gal de par les con­séquences qu’il induit.

Effec­tive­ment, les indi­ca­teurs économiques sur lesquels était fondé ce critère géo­graphique avaient pour effet d’une part d’ex­clure sys­té­ma­tique­ment les can­di­dats les plus éloignés et d’autre part de ne retenir que les plus proches, sans pondéra­tion.

Ain­si, le juge des référés a con­sid­éré que ce critère géo­graphique de par sa con­cep­tion économique impar­faite, avait des con­séquences dis­crim­i­na­toires et était irréguli­er.

Cette déci­sion nous paraît tout à fait jus­ti­fiée au regard de l’ordonnance no 2015–899 du 23 juil­let 2015 rel­a­tive aux marchés publics et du décret no 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics trans­posent en droit nation­al la direc­tive européenne 2014/24/UE.

En effet, ces textes con­fir­ment que la préférence locale n’est pas légale et qu’un critère reposant sur l’origine, l’implantation ou la prox­im­ité géo­graphique du can­di­dat ne peut être fait mis en place par l’acheteur, car il mécon­naî­trait les principes de non-dis­crim­i­na­tion, de lib­erté d’accès à la com­mande publique et d’égalité de traite­ment des can­di­dats.

Néan­moins, ces textes per­me­t­tent, par le recours au critère envi­ron­nemen­tal, en l’occurrence la réduc­tion des émis­sions de CO2, ou encore des con­sid­éra­tions telles que la rapid­ité de livrai­son ou l’économie des deniers publics, l’instauration d’un tel critère.

Jérôme OLIVIER

Avo­cat au Bar­reau d’ANNECY

Extraits :

  • Con­seil d’État, Ordon­nance du 27 avril 2018, n°1801816 – DÉPARTEMENT DE LA HAUTE-GARONNE :

« 4. Aux ter­mes de l’ar­ti­cle 52 de l’or­don­nance du l’or­don­nance n° 2015–899 du 23 juil­let 2015 susvisée : « I. — Le marché pub­lic est attribué au soumis­sion­naire ou, le cas échéant, aux soumis­sion­naires qui ont présen­té l’of­fre économique­ment la plus avan­tageuse sur la base d’un ou plusieurs critères objec­tifs, pré­cis et liés à l’ob­jet du marché pub­lic ou à ses con­di­tions d’exé­cu­tion. Le lien avec l’ob­jet du marché pub­lic ou ses con­di­tions d’exé­cu­tion s’ap­pré­cie con­for­mé­ment à l’ar­ti­cle 38. (…) II. — Les critères d’at­tri­bu­tion n’ont pas pour effet de con­fér­er une lib­erté de choix illim­itée à l’a­cheteur et garan­tis­sent la pos­si­bil­ité d’une véri­ta­ble con­cur­rence. » L’ar­ti­cle 38 de la même ordon­nance prévoit : « I. — Les con­di­tions d’exé­cu­tion d’un marché pub­lic peu­vent pren­dre en compte des con­sid­éra­tions rel­a­tives à l’é­conomie, à l’in­no­va­tion, à l’en­vi­ron­nement, au domaine social ou à l’emploi, à con­di­tion qu’elles soient liées à l’ob­jet du marché pub­lic. (…) Sont réputées liées à l’ob­jet du marché pub­lic les con­di­tions d’exé­cu­tion qui se rap­por­tent aux travaux, four­ni­tures ou ser­vices à fournir en appli­ca­tion du marché pub­lic, à quelque égard que ce soit et à n’im­porte quel stade de leur cycle de vie, y com­pris les fac­teurs inter­venant dans le proces­sus spé­ci­fique de pro­duc­tion, de four­ni­ture ou de com­mer­cial­i­sa­tion de ces travaux, four­ni­tures ou ser­vices ou un proces­sus spé­ci­fique lié à un autre stade de leur cycle de vie, même lorsque ces fac­teurs ne ressor­tent pas des qual­ités intrin­sèques de ces travaux, four­ni­tures ou ser­vices. (…)» Aux ter­mes de l’ar­ti­cle 62 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 susvisé : « II. — Pour attribuer le marché pub­lic au soumis­sion­naire ou, le cas échéant, aux soumis­sion­naires qui ont présen­té l’of­fre économique­ment la plus avan­tageuse, l’a­cheteur se fonde : 1° Soit sur un critère unique qui peut être : a) Le prix, à con­di­tion que le marché pub­lic ait pour seul objet l’achat de ser­vices ou de four­ni­tures stan­dard­is­és dont la qual­ité est insus­cep­ti­ble de vari­a­tion d’un opéra­teur économique à l’autre ; b) Le coût, déter­miné selon une approche glob­ale qui peut être fondée sur le coût du cycle de vie au sens de l’ar­ti­cle 63 ; 2° Soit sur une plu­ral­ité de critères non dis­crim­i­na­toires et liés à l’ob­jet du marché pub­lic ou à ses con­di­tions d’exé­cu­tion au sens de l’ar­ti­cle 38 de l’or­don­nance du 23 juil­let 2015 susvisée, par­mi lesquels fig­ure le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères com­prenant des aspects qual­i­tat­ifs, envi­ron­nemen­taux ou soci­aux. Il peut s’a­gir, par exem­ple, des critères suiv­ants : a) La qual­ité, y com­pris la valeur tech­nique (…), l’ac­ces­si­bil­ité (…). D’autres critères peu­vent être pris en compte s’ils sont jus­ti­fiés par l’ob­jet du marché pub­lic ou ses con­di­tions d’exé­cu­tion. ».

Ces dis­po­si­tions per­me­t­tent au pou­voir adju­di­ca­teur de retenir, pour choisir l’of­fre économique­ment la plus avan­tageuse, un critère reposant sur la prox­im­ité géo­graphique du can­di­dat lorsque sa prise en compte est ren­due objec­tive­ment néces­saire par l’ob­jet du marché et la nature des presta­tions à réalis­er et n’a pas d’ef­fet dis­crim­i­na­toire.

Le règle­ment de la con­sul­ta­tion prévoit, en son arti­cle 5 « Elim­i­na­tion des can­di­dats — classe­ment des offres », en son point 5.2 « Juge­ment des offres », trois critères pondérés sur un total de 100 points, soit 70 points attribués à la qual­ité de la presta­tion, 20 points attribués au taux de remise sur prix pub­lic et 10 points attribués aux frais engen­drés par l’exé­cu­tion de l’ac­cord-cadre et sup­port­és par la médiathèque départe­men­tale pour les déplace­ments de ses représen­tants auprès des tit­u­laires. Le règle­ment pré­cise que la for­mule de cal­cul de ce dernier critère con­siste à mul­ti­pli­er le coût kilo­métrique moyen, arrêté à 0,50 euros TTC par référence au barème for­faitaire prévu par l’ar­ti­cle 6B de l’an­nexe IV au code général des impôts, par la dis­tance par­cou­rue éval­uée sur la base du temps de tra­jet cal­culé par le dis­tanci­er du site inter­net « mappy.com » et selon l’it­inéraire le plus rapi­de.

 Le cahi­er des claus­es par­ti­c­ulières prévoit en son arti­cle 5 relatif aux con­di­tions d’exé­cu­tion du marché, la néces­sité pour le tit­u­laire de per­me­t­tre, au moins une fois par mois, la con­sul­ta­tion des fonds dans ses locaux par les bib­lio­thé­caires. Si cette oblig­a­tion, qui est de nature à assur­er la bonne exé­cu­tion du marché, peut être posée comme con­di­tion néces­saire à l’exé­cu­tion de la presta­tion, elle ne peut con­duire à priv­ilégi­er les prestataires implan­tés à prox­im­ité de la médiathèque au détri­ment de tout can­di­dat plus éloigné. Les modal­ités de cal­cul des frais engagés, basées exclu­sive­ment sur la dis­tance entre l’im­plan­ta­tion géo­graphique des librairies can­di­dates et la médiathèque départe­men­tale, favorisent néces­saire­ment et sys­té­ma­tique­ment les can­di­dats les plus proches, et restreignent abu­sive­ment la pos­si­bil­ité pour un can­di­dat plus éloigné d’être retenu. La société requérante est en con­séquence fondée à soutenir que la méth­ode de sélec­tion des offres est irrégulière. Cette irrégu­lar­ité est con­sti­tu­tive d’un man­que­ment aux oblig­a­tions de mise en con­cur­rence.

 Si le critère des « frais engagés » ne représente que 10 % de la note totale, et si la société requérante a été placée en 4ème posi­tion dans le classe­ment des offres, elle a obtenu une meilleure note que l’at­trib­u­t­aire sur le critère relatif à la qual­ité tech­nique et une note iden­tique sur le critère de prix. Dès lors, le critère illé­gal a été déter­mi­nant pour départager les offres, comme au demeu­rant le départe­ment de la Haute-Garonne le recon­naît à l’in­stance, et a été de nature à lés­er de manière suff­isam­ment vraisem­blable les intérêts de la librairie La Pré­face. »