Irresponsabilité pénale de la personne morale de Droit public lorsque l’activité n’est pas susceptible de faire l’objet d’une Délégation de Service Public.
Cass. crim., 19 déc. 2018, n° 18–81.328, P+B
Le SIVOM de Vico-Coggia avait conclu avec la Compagnie des Eaux et de l’Ozoneun contrat d’affermage fixant « les conditions d’exploitation par affermage du service public de l’assainissement comprenant la collecte, le pompage et le traitement des eaux usées » jusqu’au 31 décembre 2017.
Par une délibération du 20 mai 2008, le comité syndical de ce SIVOM, a décidé que « le montant du tarif des eaux collectées reste fixé à 1 euro/m3 selon les termes de la délibération du 18 juin 2002 ».
L’association d’Usagers « Eau Secours » a dénoncé au procureur de la République le prix prohibitif de l’eau au sein du SIVOM arrêté par cette délibération.
Cette association a également signalé l’attribution irrégulière par le SIVOM d’un marché d’un montant de 320 800 euros HT à la même société en vue de la réhabilitation de la station d’épuration et d’un autre marché de mise en conformité d’un chemin à une autre entreprise.
Le Syndicat a alors était poursuivi des chefs de délit de favoritisme (C. pén., art. 432–14) pour les faits relatifs à l’attribution de deux marchés sans respect des règles édictées par le Code des Marchés Publics garantissant l’égalité des candidats, la transparence et la liberté d’accès à la commande publique.
Il était également poursuivipour concussion (C. pén., art. 432–10), pour avoir reçu, exigé ou ordonné de percevoir à titre de droits, contributions, impôts ou taxes publiques, une somme qu’il savait ne pas être due ou excéder ce qui est dû, en l’espèce, la perception indue auprès des usagers d’une surtaxe pour un montant total de 220 650,14 euros correspondant à la somme de 1 euro/m3 d’eau usagée pour la période de juillet 2006 à juin 2008
Le 8 janvier 2016, le Tribunal Correctionnel a relaxé les prévenus et cette décision a été confirmée par la Cour d’Appel le 7 février 2018.
Si la Cour de Cassation infirme les motivations retenues par la Cour d’Appel, elle confirme la relaxe au motif que les activités respectives de fixation d’une taxe et d’attribution d’un marché public, à l’occasion desquelles les délits auraient été commis, ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’une convention de délégation de service public au sens de l’article 121–2 du Code Pénal.
En conséquence, le SIVOM et de manière générale les personnes morales de Droit Public ne peuvent être poursuivis pénalement.
Pour rappel, cet article dispose :
« Les personnes morales, à l’exclusion de l’Etat, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121–4 à 121–7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants.
Toutefois, les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans l’exercice d’activités susceptibles de faire l’objet de conventions de délégation de service public. »
Si la fixation d’une taxe et la compétence d’attribution d’un marché sont des activités qui sont de la compétence exclusive de la collectivité publique et ne sont pas délégables, la Cour de Cassation aurait pu considérer que c’est par rapport à l’activité principale du SIVOM que l’on devait apprécier la responsabilité pénale de ce dernier.
Or, la gestion de l’alimentation en eau potable et celle du réseau d’assainissement, activités principales du SIVOM sont bien des activités susceptibles de faire l’objet d’une délégation de service public.
De plus, en jugeant de la sorte, la Cour de Cassation pose le principe d’une irresponsabilité pénale très étendue des personnes morales de Droit Public puisque les seuls recours envisageables pour sanctionner de tels manquements se limitent à la poursuite de la personne physique en charge de la Direction de la Personne Morale de Droit Public.
Maître Jérôme OLIVIER
Avocat au Barreau d’ANNECY
Extraits :
- Cass. crim., 19 déc. 2018, n° 18–81.328, P+B :7
« Attendu que, pour renvoyer le SIVOM des fins de la poursuite des chefs de concussion et d’atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics, l’arrêt énonce que le SIVOM, qui est un organisme public, ne revêt pas les qualités de personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ; que les juges ajoutent, concernant, d’une part, le délit de concussion, qu’il n’est pas démontré que le SIVOM ait eu conscience du caractère indu de la somme qu’il a exigé de percevoir et que, s’agissant d’une décision collective, elle n’aurait pu être imputée aux membres de l’organe collégial, à raison de leur seule participation à cette dernière, d’autre part, le délit d’atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics, s’agissant de la CEO, qu’à supposer que l’infraction principale soit établie, l’avenant litigieux du 24 novembre 2008, conclu sans procédure de publicité ou de mise en concurrence et sans saisine pour avis de la commission de service public, n’a pas été déféré par le préfet devant la juridiction administrative aux fins d’annulation et que la chambre régionale des comptes, qui en a pointé les insuffisances, n’a pas conclu à son illégalité ;
Attendu que si c’est à tort que, pour prononcer la relaxe du SIVOM des chefs de concussion et d’atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics et de la CEO du chef de recel de ce délit, l’arrêt retient que le SIVOM n’a pas la qualité de personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, alors que celui-ci, qui a pour objet la réalisation et la gestion de l’alimentation en eau potable et du réseau d’assainissement de l’agglomération de Sagone, est chargé directement ou indirectement, d’accomplir des actes ayant pour but de satisfaire à l’intérêt général, et revêt ainsi la qualité de personne chargée d’une mission de service public au sens des articles 432–10 et 432–14 du Code pénal, l’arrêt n’encourt toutefois pas la censure dès lors que les activités respectives de fixation d’une taxe et d’attribution d’un marché public, à l’occasion desquelles les délits susvisés ont été commis, ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’une convention de délégation de service public au sens de l’article 121–2 du Code pénal ;
D’où il suit que les moyens ne peuvent qu’être écartés ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
Rejette le pourvoi ; (…).»
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