Le Conseil d’Etat précise les critères de distinction entre les dommages permanents de travaux publics et les dommages accidentels de travaux publics.
Conseil d’Etat, n° 411961 du 14 avril 2019
Dans cette affaire opposant la société EDF à la société CNR, le Conseil d’Etat donne une nouvelle grille de lecture permettant de distinguer les dommages permanents de travaux publics des dommages accidentels de travaux publics, dans l’hypothèse où ces dommages seraient causés par le fonctionnement de l’ouvrage public (pour rappel les dommages permanents de travaux publics résultent de l’entretien ou du fonctionnement normal de ces ouvrages).
En l’espèce, la société EDF avait procédé à des opérations de chasse sur six des ouvrages hydrauliques qu’elle détient sur la rivière Isère (la chasse est une opération consistant à l’évacuation des sédiments des ouvrages par un lâcher d’eau subite).
Cette opération n’ayant pas été réalisé depuis plus de quatre ans et le niveau de du cours d’eau étant particulièrement bas le jour de ces chasses, la masse extrêmement importante de sédiments rejetés a fortement endommagé les ouvrages hydrauliques propriétés de la société CNR qui se trouvaient en aval de la rivière Isère.
Cette société a alors réclamé auprès de la société EDF le remboursement des dégâts évalués à 3,7 M€.
Cette demande est restée sans réponse et la société EDF a saisi la juridiction administrative.
La question qui se posait au juge était de savoir si les chasses réalisées par la société EDF résultaient fonctionnement normal de l’ouvrage public ou s’il s’agissait d’un dommage accidentel sans rapport avec le fonctionnement normal de l’ouvrage.
L’enjeu de cette distinction réside dans le régime de responsabilité applicable. Le régime de responsabilité des dommages permanents de travaux publics est un régime de responsabilité sans faute qui limite l’indemnisation des préjudices aux préjudices anormaux et spéciaux. Ce régime est donc, souvent, bien moins avantageux que le régime de responsabilité pour dommage accidentel qui indemnise l’ensemble des préjudices subis par la victime en lien avec la faute du maître de l’ouvrage public.
La Cour Administrative d’Appel de Lyon avait estimé que les opérations de Chasse étaient des opérations résultant du fonctionnement normal de l’ouvrage public et présentaient en conséquence le caractère d’un dommage permanent de travaux publics.
Aussi, la Cour avait refusé de faire droit aux demandes indemnitaires formulées par la CNR.
Le Conseil d’Etat censure cette position en estimant que si le dommage résultait bien d’une activité correspondant au fonctionnement normal de l’ouvrage public, la mise en œuvre de cette chasse par la société EDF présentait un caractère exceptionnel et accidentel compte tenu
- De l’ancienneté de la précédente chasse, à savoir quatre ans (cette opération devant être réalisée à une fréquence au moins annuelle par la société EDF)
- Et de l’absence de prise en compte par la société EDF du débit faible de la Rivière.
La Haute Juridiction ne se limite en conséquence pas à une stricte analyse du rapport entre l’opération exercée et sa nécessité pour le fonctionnement de l’ouvrage, mais étudie concrètement si les conditions de mise en œuvre de l’opération sont susceptibles d’être considérées comme étant en lien avec le fonctionnement normal de l’ouvrage.
Maître Jérôme OLIVIER
Avocat au Barreau d’ANNECY
Extraits :
- Conseil d’Etat, n° 411961 du 14 avril 2019 :
«2. Le maître de l’ouvrage est responsable, même en l’absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s’il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d’un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu’ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel.
- Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, en particulier du rapport de l’expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, que les dommages causés à la société CNR consistent dans l’envasement des systèmes de pré-filtration des eaux perturbant le fonctionnement de l’usine hydroélectrique qu’elle exploite sur l’Isère en aval de Grenoble. Cet envasement est la conséquence directe des opérations de chasse pratiquées par la société EDF en mai et juin 2008 alors que, d’une part, la précédente chasse ayant été réalisée plus de quatre ans auparavant, l’accumulation en amont de sédiments était d’une ampleur exceptionnelle et, d’autre part, le débit du Rhône diminuait, réduisant ainsi la dilution et l’évacuation des sédiments relâchés et augmentant le risque de leur accumulation et de l’envasement des installations situées en aval. Les dommages subis par la société CNR, qui a la qualité de tiers par rapport aux ouvrages hydroélectriques exploités par la société EDF sur l’Isère, ne sont, dès lors, pas liés à l’existence même, ni au fonctionnement ou à l’entretien normal de ces ouvrages. En conséquence, ils ne présentent pas le caractère de dommage permanent de travaux publics. Par suite, la cour administrative d’appel de Lyon a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en estimant que les dommages causés par la société EDF à la société CNR ne présentaient pas de caractère accidentel et en en déduisant qu’il incombait à celle-ci de démontrer le caractère anormal et spécial du préjudice qu’elle invoquait. Il suit de là, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, que son arrêt doit être annulé. ».
A consulter en intégralité sur légiFrance : https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000038360542&fastReqId=172126669&fastPos=1