Protection fonctionnelle : conditions et modalité de prise en charge par l’administration des frais de procès nécessaires à la défense du fonctionnaire
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Conseil d’État, 3ème & 8ème chambres réunies, 8 juillet 2020, n° 427002
L’idée d’une protection spéciale des fonctionnaires, en cas de faute de service, apparaît dans le prolongement du système de la garantie des fonctionnaires, prévue dans l’article 75 de la Constitution de l’an VIII, qui énonçait que :
« Les agents du gouvernement autres que les ministres ne peuvent être poursuivis pour des faits relatifs à leurs fonctions, qu’en vertu d’une décision du Conseil d’État : en ce cas la poursuite a lieu devant les tribunaux ordinaires ».[1]
Cette garantie est supprimée par le décret-loi du 19 septembre 1870 et un nouveau système voit le jour qui prévoit qu’en cas de faute de service, l’agent bénéficie d’une irresponsabilité pécuniaire au profit de la seule responsabilité de l’administration.
Le Conseil d’Etat consacre ensuite cela en Principe Général du Droit (PGD) par une décision du 26 avril 1963, « Centre hospitalier régional de Besançon » :
« Cons. que, lorsqu’un agent public a été poursuivi par un tiers pour faute de service, la collectivité publique doit, dans la mesure où une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions n’est pas imputable à cet agent, le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui ; que ce principe général du droit a d’ailleurs été consacré expressément en ce qui concerne les fonctionnaires de l’État par l’article 14 de la loi du 19 octobre 1946 repris par l’article 11 de l’ordonnance du 4 février 1959 et, en faveur des agents des communes et des établissements publics communaux et intercommunaux par l’article 9 de la loi du 28 avril 1952 dont les dispositions ont été reprises par l’article 428 du Code de l’administration communale. »
Aujourd’hui ce PDG trouve sa transcription législative à l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983.
Cet article énonce :
« I.- A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le Code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l’ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d’une protection organisée par la collectivité publique qui l’emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire.
II.- Sauf en cas de faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions, la responsabilité civile du fonctionnaire ne peut être engagée par un tiers devant les juridictions judiciaires pour une faute commise dans l’exercice de ses fonctions.
Lorsque le fonctionnaire a été poursuivi par un tiers pour faute de service et que le conflit d’attribution n’a pas été élevé, la collectivité publique doit, dans la mesure où une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions n’est pas imputable au fonctionnaire, le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui.
III.- Lorsque le fonctionnaire fait l’objet de poursuites pénales à raison de faits qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions, la collectivité publique doit lui accorder sa protection. Le fonctionnaire entendu en qualité de témoin assisté pour de tels faits bénéficie de cette protection. La collectivité publique est également tenue de protéger le fonctionnaire qui, à raison de tels faits, est placé en garde à vue ou se voit proposer une mesure de composition pénale.
IV.- La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu’une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté.
[…]
VI.- La collectivité publique est subrogée aux droits de la victime pour obtenir des auteurs des faits mentionnés aux IV et V la restitution des sommes versées au fonctionnaire ou aux personnes mentionnées au V. Elle dispose, en outre, aux mêmes fins, d’une action directe, qu’elle peut exercer au besoin par voie de constitution de partie civile devant la juridiction pénale.
VII.- Un décret en Conseil d’État précise les conditions et les limites de la prise en charge par la collectivité publique, au titre de la protection, des frais exposés dans le cadre d’instances civiles ou pénales par le fonctionnaire ou les personnes mentionnées au V. »
Il ressort de la lecture de cet article que, toute action fautive n’ayant aucun lien avec les fonctions exercées par l’agent ou n’ayant pas été commises à raison de la qualité de l’agent, ne peut donner lieu à protection.
Il faut nécessairement un lien direct de causalité avec les fonctions de l’intéressé.
C’est pourquoi il convient de faire la distinction entre faute de service et faute personnelle détachée ou détachable du service :
- La faute de service est celle commise par un agent dans l’exercice de ses fonctions, c’est-à-dire pendant le service, avec les moyens du service et en dehors de tout intérêt personnel.
Dans ce cas, le manquement fautif qui en résulte n’a pas le caractère de faute personnelle ;
- La faute personnelle détachée ou détachable du service quant à elle, est celle commise par l’agent en dehors du service.
Elle peut être commise pendant le service, si :
- Elle présente un caractère incompatible avec le service public ou les pratiques administratives normales ;
- Elle revêt une particulière gravité ;
- Elle révèle les intérêts privés qui la motivent.
La faute personnelle est notamment caractérisée :
- Lorsque l’acte se détache matériellement ou temporellement de la fonction ;
- Lorsque l’acte se détache de la fonction par le caractère inexcusable du comportement de l’agent par l’intention qui l’anime révélant l’homme à titre privé (acte incompatible avec le service public) ;
- Lorsque l’acte est commis pour la satisfaction d’un intérêt personnel matériel ou psychologique ;
- Lorsque l’acte constitue une faute caractérisée même commise dans l’exercice des fonctions.
Dès lors que le caractère personnel de la faute est constaté, l’administration est exonérée de toute responsabilité.
Dans ce cas, c’est au fonctionnaire fautif de supporter ses frais de défense et de procès.
Aussi, il a été admis par le Conseil d’État le 26 juillet 2011, qu’un motif d’intérêt général pouvait amener l’administration à refuser la protection fonctionnelle.
Les textes ne prévoyant aucun formalisme particulier pour solliciter une demande de protection fonctionnelle, celle-ci s’effectue par une simple demande écrite de l’agent, d’après le décret n° 2017–97 du 26 janvier 2017 relatif aux conditions et aux limites de la prise en charge des frais exposés dans le cadre d’instances civiles ou pénales par l’agent public ou ses ayants droit.
Ainsi, son article 2, alinéa 1e dispose :
« La demande de prise en charge des frais exposés dans le cadre d’une instance civile ou pénale au titre de la protection fonctionnelle est formulée par écrit auprès de la collectivité publique qui emploie l’agent à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire. »
Dans la décision du 8 juillet 2020, le Conseil d’État est venu rappeler les principes régissant la protection fonctionnelle de manière pédagogique.
Il rappelle, dans un premier temps, par un considérant de principe, aux visas beaucoup plus généraux que le cas d’espèce que la protection fonctionnelle, dont peut bénéficier chaque agent public ou élu local, est de droit, sauf cas de faute détachable du service :
« […] lorsqu’un agent public est mis en cause par un tiers à raison de ses fonctions, il incombe à la collectivité publique dont il dépend de lui accorder sa protection dans le cadre d’une instance civile non seulement en le couvrant des condamnations civiles prononcées contre lui mais aussi en prenant en charge l’ensemble des frais de cette instance, dans la mesure où une faute personnelle détachable du service ne lui est pas imputable ; de même, il lui incombe de lui accorder sa protection dans le cas où il fait l’objet de poursuites pénales, sauf s’il a commis une faute personnelle, et, à moins qu’un motif d’intérêt général ne s’y oppose, de le protéger contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont il est l’objet. »
La Haute-Juridiction précise également que l’octroi de la protection fonctionnelle n’est plus conditionné par une demande expresse écrite de l’élu :
« […] en deuxième lieu, c’est sans commettre d’erreur de droit que la cour a jugé que la commune pouvait légalement accorder sa protection sans qu’une demande écrite formalisée lui soit adressée par le bénéficiaire. »
Au cas d’espèce, les juges du Palais Royal confirment qu’aucun élément du dossier ne permettait de juger que l’ancien maire de MESSIMY-SUR-SAÔNE aurait commis une faute détachable du service.
Il était donc parfaitement fondé à bénéficier de la protection fonctionnelle, nonobstant le fait qu’il n’ait pas formulée de demande expresse écrite.
[1] Fonctionnaire et agent public – Protection pénale des agents publics, Annie FITTE-DUVAL
EXTRAITS:
“2. Lorsqu’un agent public est mis en cause par un tiers à raison de ses fonctions, il incombe à la collectivité publique dont il dépend de lui accorder sa protection dans le cadre d’une instance civile non seulement en le couvrant des condamnations civiles prononcées contre lui mais aussi en prenant en charge l’ensemble des frais de cette instance, dans la mesure où une faute personnelle détachable du service ne lui est pas imputable ; de même, il lui incombe de lui accorder sa protection dans le cas où il fait l’objet de poursuites pénales, sauf s’il a commis une faute personnelle, et, à moins qu’un motif d’intérêt général ne s’y oppose, de le protéger contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont il est l’objet. Ce principe général du droit a d’ailleurs été expressément réaffirmé par la loi, notamment en ce qui concerne les fonctionnaires et agents non titulaires, par l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant statut général de la fonction publique et par les articles L. 2123–34, L. 2123–35, L. 3123–28, L. 3123–29, L. 4135–28 et L. 4135–29 du code général des collectivités territoriales, s’agissant des exécutifs des collectivités territoriales. Cette protection s’applique à tous les agents publics, quel que soit le mode d’accès à leurs fonctions.
3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la délibération du 7 septembre 2012 de la commune de Messimy-sur-Saône avait pour objet d’assurer la prise en charge des frais que M. A… B… était susceptible d’engager pour assurer sa défense devant les juridictions civiles. Il résulte de ce qui a été dit au point 2 qu’en jugeant que l’attribution de la protection par la collectivité publique constitue une obligation lorsque l’agent fait l’objet de poursuites pénales ou d’une action civile, en l’absence de faute personnelle qui lui est imputable, la cour n’a pas commis d’erreur de droit.
4. En deuxième lieu, c’est sans commettre d’erreur de droit que la cour a jugé que la commune pouvait légalement accorder sa protection sans qu’une demande écrite formalisée lui soit adressée par le bénéficiaire.
5. En troisième lieu, en relevant que M. D… n’apportait aucun élément sérieux à l’appui de ses allégations relatives au caractère détachable des fautes pour lesquelles M. A… B… a été assigné, la cour n’a ni inversé la charge de la preuve ni commis d’erreur de droit.
6. Il résulte de tout ce qui précède que M. D… n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque.”
Retrouver cette décision sur le site LEGIFRANCE https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000042100815