FONCTION PUBLIQUE/ LICENCIEMENT : L’INSUFFISANCE PROFESSIONNELLE NE PEUT PAS FONDER UNE DÉCISION DE LICENCIEMENT D’UN FONCTIONNAIRE SI CELUI-CI N’EXERCE PAS DES FONCTIONS CORRESPONDANTES AU GRADE QU’IL DÉTIENT DANS SON CADRE D’EMPLOI
- Conseil d’Etat, 20 juillet 2021, n°441096
Préalablement au licenciement d’un fonctionnaire pour insuffisance professionnelle, l’employeur doit s’assurer que celui-ci exerce des fonctions correspondantes au grade qu’il détient dans son cadre d’emploi. À défaut de correspondance, il est nécessaire de rétablir le fonctionnaire dans les fonctions qui correspondent à ce grade pendant une période suffisante. L’appréciation d’une insuffisance ne peut fonder le licenciement que si elle est faite dans ces fonctions.
Une éducatrice avait été recrutée en qualité de contractuelle en 2008, pour un poste d’éducatrice de jeunes enfants, avant d’être promue en 2010 à de nouvelles fonctions, plus orientées vers l’encadrement.
Son poste de coordonnatrice petite enfance et directrice d’un service d’accueil avait une forte dimension administrative.
Elle fût titularisée en 2014, occupant toujours ses fonctions d’encadrement, mais restant au grade dans lequel elle avait été recrutée.
Son employeur, la Communauté de Communes Val de Charentes, l’a licenciée pour insuffisance professionnelle par un arrêté de son Président en date du 15 juillet 2016.
Cet arrêté a été attaqué par l’éducatrice devant le Tribunal Administratif de Poitiers, qui a rejeté sa demande.
La fonctionnaire ayant interjeté, appel, la Cour Administrative de Bordeaux a annulé le jugement, la décision de licenciement et à, enfin, ordonné sa réintégration ainsi que la reconstitution de sa carrière sous un délai de trois mois.
La Communauté de Communes s’est alors pourvue en cassation.
Le Conseil d’Etat devait répondre à la question de savoir si la fonctionnaire pouvait faire l’objet d’un licenciement pour insuffisance professionnelle, considérant qu’elle exerçait des fonctions différentes de celles afférentes au grade qu’elle détenait.
La Haute-Juridiction va considérer que l’insuffisance Professionnelle ne peut s’apprécier que par rapport aux fonctions prévues au grade du fonctionnaire et confirmer la censure de l’Administration prononcée par la Cour Administrative d’Appel (I).
Cependant, elle expose la méthodologie pour prononcer un tel licenciement dans l’hypothèse de l’espèce, dans laquelle un agent aurait été placé sur un poste dont les fonctions ne correspondent pas à son grade (II).
I/ L’insuffisance professionnelle ne peut s’apprécier que par rapport aux fonctions du grade détenu par le fonctionnaire
Le Conseil d’Etat a estimé, pour rejeter le pourvoi de la Commune, que l’insuffisance professionnelle qui était reproché à la fonctionnaire s’était manifesté dans l’exercice des fonctions qui ne correspondait pas au grade qu’elle détenait.
Dès lors, le Conseil d’Etat ne se place même pas sur le terrain de la réalité de l’insuffisance professionnelle de la fonctionnaire licenciée.
Les juges estiment même, en atténuant les reproches formulés, que les difficultés relationnelles que la fonctionnaire entretenait avec d’autres agents sont établies.
Il est donc établi une insuffisance dans ses fonctions d’encadrement.
Cependant, les fonctions d’encadrement ne sont pas des fonctions correspondant au grade de l’agent à savoir celui d’éducateur territorial.
Dès lors, ce manquement ne pouvait caractériser l’insuffisance professionnelle et, en conséquence, fonder le licenciement contesté.
Le Conseil d’Etat estime donc que le licenciement est irrégulier à ce motif.
Il prend cependant le soin d’indiquer à l’administration la méthodologie pour procéder au licenciement du fonctionnaire dans cette hypothèse où l’agent aurait été placé sur un poste dont les fonctions ne correspondent pas à son grade.
II/ Les conditions de licenciement pour insuffisance professionnelle du fonctionnaire n’exerçant pas des fonctions correspondant à son grade
Le Conseil d’Etat, dans sa décision, juge que le fonctionnaire auquel est reprochée une insuffisance professionnelle doit être ramené à des fonctions correspondant à son grade.
Ce n’est que dans cette hypothèse, et si l’insuffisance professionnelle reste constatée après une période suffisante, que le fonctionnaire peut être licencié (a).
Cette insuffisance professionnelle doit donc s’apprécier lors d’une durée suffisante et de manière globale sur l’ensemble des fonctions exercées par l’agent (b).
a. La nécessité de ramener le fonctionnaire dans des fonctions qui correspondent à son grade
Les juges suprêmes de l’ordre administratif estiment, dans cette décision, que « Lorsque la manière de servir d’un fonctionnaire exerçant des fonctions qui ne correspondent pas à son grade le justifie, il appartient à l’administration de mettre fin à ses fonctions. Une évaluation portant sur la manière dont l’agent a exercé de nouvelles fonctions correspondant à son grade durant une période suffisante et révélant son inaptitude à un exercice normal de ces fonctions peut, alors, être de nature à justifier légalement son licenciement ».
Ainsi, pour qu’un licenciement pour insuffisance professionnelle d’un fonctionnaire titulaire soit jugé légal, son employeur doit :
- Lui confier des fonctions correspondant à son grade ;
- Lui permettre de les exercer pendant une période suffisante pour apprécier son aptitude.
Ce n’est que si, au terme de cette période, il révèle une inaptitude à exercer ses fonctions qu’il pourra être licencié pour insuffisance professionnelle.
b. L’application classique de l’insuffisance professionnelle au fonctionnaire réaffecté à des tâches correspondant à son grade
L’agent ramené à des fonctions correspondantes à son grade peut, un fois passé la « période suffisante » permettant son évaluation, faire l’objet d’un licenciement pour insuffisance professionnelle.
C’est le rappel d’une jurisprudence constante que veut que l’inaptitude à exercer normalement ses fonctions doit s’apprécier pendant une période suffisante pour être représentative de cette insuffisance, ce qui exclut de simples carences ponctuelles (voir par exemple : CE, 1er juin 2016, n° 392621, Commune de Sète).
De plus, et comme cela est rappelé dans la présente décision par le Conseil d’Etat dans son considérant d’application et non de principe, l’inaptitude est appréciée par rapport à l’ensemble des fonctions de l’agent « l’inaptitude de l’intéressée à exercer l’ensemble des fonctions correspondant au grade qu’elle détient ».
Cette formulation laisse penser que l’appréciation de l’administration doit se faire, de manière globale, sur l’ensemble des tâches dévolues du fonctionnaire.
On peut toutefois regretter, même si cette décision ne se prêtait pas nécessairement à de telles précisions, de ne pas disposer d’une « grille de lecture » plus précise et plus objective de l’insuffisance professionnelle qui reste une notion très subjective.
EXTRAIT PERTINENT DE LA DÉCISION :
« Le licenciement pour insuffisance professionnelle d’un agent public ne peut être fondé que sur des éléments révélant l’inaptitude de l’agent à exercer normalement les fonctions pour lesquelles il a été engagé, s’agissant d’un agent contractuel, ou correspondant à son grade, s’agissant d’un fonctionnaire, et non sur une carence ponctuelle dans l’exercice de ces fonctions. Lorsque la manière de servir d’un fonctionnaire exerçant des fonctions qui ne correspondent pas à son grade le justifie, il appartient à l’administration de mettre fin à ses fonctions. Une évaluation portant sur la manière dont l’agent a exercé de nouvelles fonctions correspondant à son grade durant une période suffisante et révélant son inaptitude à un exercice normal de ces fonctions peut, alors, être de nature à justifier légalement son licenciement.
(…)
« Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que, pour licencier Mme A… pour insuffisance professionnelle, le président de la communauté de communes Val de Charente s’est fondé, en s’appuyant notamment sur un rapport d’analyse des risques psychosociaux effectué par un cabinet extérieur et sur les plaintes déposées par de nombreux agents placés sous l’autorité de Mme A…, sur l’incapacité de cette dernière à développer des relations de travail adéquates avec ses collègues, cette ” insuffisance managériale ” étant susceptible de compromettre le bon fonctionnement du service. En estimant que, même si les difficultés relationnelles avec certains agents étaient établies, elles ne pouvaient suffire à caractériser l’inaptitude de l’intéressée à exercer l’ensemble des fonctions correspondant au grade qu’elle détient dans le cadre d’emplois, relevant de la catégorie B, des éducateurs territoriaux de jeunes enfants, lesquelles ne sont, pour l’essentiel, pas des fonctions d’encadrement, et en en déduisant que l’arrêté du 15 juillet 2016 prononçant le licenciement pour insuffisance professionnelle de Mme A… était entaché d’une erreur d’appréciation, la cour administrative d’appel de Bordeaux n’a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis et n’a pas commis d’erreur de droit ».
Décision à retrouver ici : https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000043834068